Le 22 mars 2025, dans le cadre des Journées d’actions antiracistes organisées par l'Alliance Justice4Nzoy, les Archives contestataires ont proposé une soirée autour des pratiques de contre-expertises militantes qui marque les mouvements sociaux de la seconde moitié du XXe siècle. La table ronde présentait trois cas : la mort de Patrick Moll, assassiné par un policier à Yverdon dans la nuit du 29 au 30 juillet 1974 ; la mort d'Alain Urban en 1980 à la clinique de Bel Air suite à un traitement infligé contre son gré ; et la mort de Roger Nzoy Wilhelm assassiné par un policier à la gare de Morges le 30 août 2021.
L'histoire des mobilisations autour de la mort de Patrick Moll a été présentée par Géraldine Beck et Alix Heiniger. Cet article rassemble les sources conservées aux Archives contestataires.
Patrick Moll est né en 1956 à La Côte (VD). Il grandit à Genève, son père est électricien et sa mère femme de ménage. Sa première rencontre avec la justice remonte à 1971, date à laquelle il est arrêté pour vol de charcuterie, puis de vélomoteurs. Il est détenu dans diverses maisons de correction d'où il s'enfuit plusieurs fois. Sa situation s'empire. En 1973, sa famille, qui s'inquiète pour sa santé, demande un retour au domicile familial ou un transfert à la clinique de Bel Air pour une cure de repos. La première demande est refusée, la deuxième également dans un premier temps, puis finalement accordée par le juge André Dunant. Quatre jour après son entrée en clinique pour une cure qui devait durer deux semaines, Patrick Moll est arrêté par la police et condamné à un an de détention pour vol et cambriolage au pénitencier de Bochuz. Il n'a pas encore 18 ans.
Dans la soirée du 29 juillet 1974, à quelques mois de la fin de sa peine, Patrick Moll s'évade du pénitencier de Bochuz grâce à un véhicule de service. La police lance une recherche et le repère à proximité d'Yverdon. Elle patrouille les routes et bois environnants afin de l'interpeller. Aux alentours de minuit, Patrick Moll est abattu sur la route de la Sermuz par des coups de feu tirés par deux agents.
La politisation de la mort de Patrick Moll débute dès les funérailles, qui ont lieu à Genève le 5 août 1974. Le Groupe d'informations sur les prisons (GIP) et le Groupe d'action prison (GAP) appellent à rejoindre le cortège funèbre et condamne le système pénal dans son ensemble : police, justice, prison. « PM avait la vie dure, il en est mort. À qui la faute ? »
Groupe d'informations sur les prisons, Groupe Action Prison, « Manifestation de solidarité », tract, Genève, août 1974. Fonds Ariel Herbez, cote: 047_AH-D0044.
Pendant les mois qui suivent la mort de Patrick Moll, la mobilisation s'organise. Un Comité Patrick Moll est créé et rassemble des proches, des apprentis du groupe Révolte, des membres du GIP. Ce Comité est à l'origine d'une « Semaine contre la répression » organisée en mars 1975 à la Maison de quartier de la Jonction, pendant laquelle ont lieu des débats sur la prison, la projection d'un film sur l'affaire réalisé et des représentations de la pièce Rabio du Théâtre-Animation de Lausanne.
Le groupe Révolte rassemble des apprenti·es qui animent un journal éponyme et se rassemblent à la Maison de quartier de la Jonction. C'est à partir d'un double processus d'identification à Patrick Moll (du point de vue de son âge et de sa classe sociale) que les jeunes de Révolte appellent à soutenir les actions du Comité et qu'ils et elles participent à la « Semaine contre la répression ».
Comité Patrick Moll, « Appel du Comité Patrick Moll », tract, Genève, février 1975. Fonds Pierre Biner, cote: 001_PB-S03-D03.
Révolte, « Groupe d'apprentis Révolte », tract, Genève, février 1975. Fonds Pierre Biner, cote: 001_PB-S03-D03.
Le militant Michel Glardon a été actif dans le Comité Patrick Moll, puis membre actif du Groupe Action Prison. Son fonds conservé aux Archives contestataires contient une série de photographies relative aux mobilisations autour de la mort de Patrick Moll. Des images du cortège funèbre en août 1974, et du rassemblement organisé par le GAP lors du procès du policier responsable de la mort de Moll, en juillet 1975.
Michel Glardon, « [Enterrement Patrick Moll] », photographie, Genève, 1974 ; et Michel Glardon, « [Procès], photographie, Genève, 1975. Fonds Michel Glardon, cote: 064_MG.
Le soutien à la mobilisation peut aussi prendre des formes matérielles. C'est le cas de cette affiche en sérigraphie signée Chant continu et conservée par Jacques Cocquio, un de ses membres. L'affiche est placardée sur le mur du Palais de justice lors du procès du policier qui a tué Moll, puis enlevée par la police.
Comité Patrick Moll, Chant continu, « Patrick Moll assassiné par les flics », affiche, Genève, 1974. Fonds Jacques Cocquio, cote : 078_JC-AC_aff_0654.
Michel Glardon, « [Affiche placardée à Morges], photographie, Morges, 1975 et Michel Glardon, « [Policiers retirant l'affiche], photographie, Morges, 1975. Fonds Michel Glardon, cote: 064_MG.
Le fonds du journaliste du mensuel puis hebdomadaire Tout va bien Ariel Herbez comprend de nombreux dossiers rassemblant des coupures de presse et de la documentation relative à ses champs d'investigation. Le dossier « Police : gardes d'aéroport, détectives privés, Patrick Moll » comprend une quarantaine de coupures de presse de quotidiens romands relatifs à l'histoire de Moll.
« Remerciements », La Suisse, 19 août 1974. Fonds Ariel Herbez, cote : 047_AH-D0044.
Les groupes militants sont à l'origine de deux documents dédiés à l'affaire Patrick Moll : un numéro du périodique La pomme qui est entièrement dédié à une récolte de données permettant de largement questionner la version policière des faits, et une affiche-tract produite par le groupe marxiste-léniniste Rupture qui recadre l'affaire dans une perspective de classe.
Journal La pomme, n°5 (nouvelle série), Yverdon, 1974.
Comité Menons l’enquête contre la police et les juges, « Faisons la vérité pour Patrick », affiche-tract, Le Mont, [1974].
On trouve également mention de la mort de Patrick Moll dans différents périodiques militants de l'époque tels que Tout va bien, Le Militant, ou encore La Brèche.