Depuis deux ans, nous choisissons chaque année un thème ou une question qui structure une partie de nos actions de valorisation. Après «Contester la course accélérée vers l'avenir» et «Culture-contre-culture», nous mettrons en avant nos archives des luttes écologistes autour du titre Écologies: quelles histoires? Nous présentons ici l'argument de ce programme de valorisation. Dans le même temps, nous proposons une première publication sur ce site, autour de la santé environnementale et de la santé au travail au CERN, en collaboration avec le séminaire de l'historienne Véronique Stenger.

Couverture du Rebrousse-poil avec un dessin de Martial Leiter

Dans son numéro 6-7 (juillet-août 1978), Le Rebrousse-poil, mensuel de contre-information romand publié par des militant·es proches des milieux pacifistes modifie son sous-titre. De «mensuel d’action non-violente, de réflexion et de contre-information», le sous-titre devient «mensuel d’action non-violente, d’écologie et de contre-information» (nous soulignons). C’est que l’été 1978 constitue un pic dans les mobilisations anti-nucléaire en Suisse romande. Plusieurs grandes marches contre l’énergie nucléaire (fête anti-déchets de Bex, marche Corserey/Lucens) ont lieu et les différents comités opposés à cette technique de production d’électricité (CASAK, Comité contre Verbois nucléaire, etc.) sont très présents dans le débat public. C’est également la période de la campagne en faveur de l’initiative anti-nucléaire fédérale « Sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l’exploitation d’installations atomiques » qui est déposée en mai 1976 et rejetée par le corps électoral le 18 février 1979. C'est aussi l'époque de la grève des mécaniciens intérimaires du CERN qui dénoncent les conditions de travail dans cette vitrine autoproclamée du nucléaire civil et pacifique.

La décision d’ajouter la mention «écologie» au sous-titre du Rebrousse-poil, si elle ne fait pas l’objet d’une explication, intervient dans ce contexte marqué par les luttes anti-nucléaires. Le dessin de Martial Leiter reproduit en couverture du numéro évoque d’ailleurs une apocalypse atomique.

L’éditorial du numéro propose moins une explication de la modification du sous-titre qu’un exercice de dissociation entre deux fractions opposées du mouvement anti-nucléaire: les écologistes et les maoïstes. Sous le titre «Et ta sœur, elle est mao ?», et après quelques citations des journaux maoïstes genevois et vaudois, Jean-Claude Hennet attaque: « (Les maos) tentent aujourd’hui une percée dans le mouvement anti-nucléaire. Il faut en effet évangéliser ces niais d’écologistes, doux rêveurs de la pâquerette; leur faire comprendre que les dangers découlant de l’implantation de centrales nucléaires disparaîtront avec l’instauration du Stalinisme!! Les écologistes, tout doux rêveurs qu’ils soient, mènent une lutte radicale pour une répartition du pouvoir et des responsabilités entre chaque individu. (...) Pour cela, les grands, justes et glorieux maoïstes de tous poils ne peuvent leur être d’aucun secours. Il fallait bien le dire clairement.»

Cette citation nous plonge au cœur de la problématique que nous souhaitons aborder dans le cadre de notre programme 2022.

Lutter pour une autre répartition des pouvoirs

Cet éditorial du Rebrousse-poil propose une définition des objectifs écologistes en des termes très politiques de lutte pour une autre répartition du pouvoir. Cette ouverture permet de mettre en discussion les différentes positions relatives au pouvoir au sein du mouvement écologiste lui-même et dans les rapports entre ce mouvement et d’autres composantes des mouvements sociaux de la seconde moitié du XXe siècle. Une des questions centrales de l’histoire récente du mouvement écologiste est celle de son devenir-parti, autrement dit, des circonstances qui ont fait de ce mouvement la force électorale qu’il est aujourd’hui et du rapport entre cette force électorale et les mouvements contestataires dont elle est issue. Preuve que la frontière établie par le rédacteur du Rebrousse-poil n’était pas si étanche qu’il semblait, plusieurs militants maoïstes ou trotskystes se sont dirigés, dès les années 1980, vers l’écologie devenue parti.

Couverture d'une brochure du Centre d'information, d'actions et de liaisons écologiques

Par ailleurs, le début de la citation («les dangers découlant de l’implantation de centrales nucléaires disparaîtront avec l’instauration du Stalinisme!!») ouvre, sous la forme d’un énoncé prêté par provocation aux groupes maoïstes, la question du rapport des mouvements sociaux aux technologies. Si pour certains le contrôle ouvrier sur les technologies est le garant, si ce n’est de leur innocuité, du moins de leur usage le plus favorable, d’autres identifient et dénoncent les risques sanitaires inhérents à l’activité productive. Les archives récemment versées à notre association par Lucile Hanouz témoignent parfaitement de ce type de dénonciations. Salariée de la CFDT du Pays de Gex puis du Syndicat interprofessionnel des travailleurs (SIT) à Genève, Lucile Hanouz est impliquée dans les grèves menées au Centre européen de la recherche nucléaire pendant la construction du deuxième anneau du LEP. Cet engagement syndical initial va l’amener vers une critique beaucoup plus large des mesures de radioprotection du personnel du laboratoire européen et finalement à s’associer aux critiques fondamentales contre la recherche atomique qu’elle formule avec les physiciens Pierre Lehmann et André Gsponer et le sociologue Jacques Grinevald dans La Quadrature du CERN (éd. d’en bas, 1984).

Quelles histoires, quelles archives ?

Nous voudrions profiter de ce programme de valorisation pour renforcer la collecte des archives du mouvement écologiste. Si nos collections sont bien pourvues pour le secteur anti-nucléaire avec les archives de Contratom et de l'Association pour l'Appel de Genève, nous recherchons des ensembles documentaires issus d'autres secteurs de luttes et d'autres groupes:

  • CIALE: Centre d'information, d'actions et de liaisons écologiques à Genève
  • Institut de la vie
  • WWF Genève
  • Luttes contre le développement du trafic routier (nous conservons déjà d'importants ensembles sur les initiatives Stop Smog et Actif Trafic)
  • Mouvements pour la gratuité des transports publics
  • Diverses formes d'alternatives agricoles (nous conservons déjà les archives des Jardins de Cocagne

Ces mouvements et d'autres constituent une part essentielle des mouvements sociaux de la seconde moitié du XXe siècle que notre association a la mission de préserver. Si vous détenez de telles archives (même partielles, même sans importance à vos yeux), n'hésitez pas à prendre contact avec nous pour assurer leur conservation dans les meilleures conditions possibles.

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