A l'initiative de Valentine Fueter Ohanessian, nous avons animé trois rencontres avec la 3PoCi classe de l'École de culture générale Ella-Maillart autour des archives du Centre de contact Suisses Immigrés (CCSI). Pour amener les élèves à la rencontre de ces documents, nous avons retenu l'expérience de la Petite école - école clandestine destinée aux enfants sans statut légal. Il nous a semblé judicieux de présenter des documents issus de cette expérience pour quatre raisons au moins:

  • il s'agit d'un épisode très important de l'histoire récente de l'école dans notre canton, puisque cette mobilisation a permis d'élargir le droit à la scolarité aux enfants sans statut légal;
  • les élèves pouvaient facilement comprendre les enjeux de la situation en raison de leur statut d'élèves et, pour une large part d'entre elles et eux, une expérience d'un parcours migratoire pour eux-mêmes ou des membres de leur famille;
  • l'expérience de la Petite école permet d'explorer la spécificité de nos «archives contestataires» dans le cadre d'une action militante qui débouche sur l'institutionnalisation des structures mises en place par les groupes contestataires (en l'occurrence l'obtention du droit à l'éducation pour les enfants sans statut);
  • les élèves de cette classe se destinant aux professions du social, il semblait particulièrement adapté à leur futur parcours professionnel de les amener à se questionner sur le cadre légal et éthique de l'action éducative ce que ces archives permettent de faire.

Une première séance dans nos locaux

Au cours d'une première séance dans nos locaux, les élèves de la classe 3PoCi ont pu découvrir matériellement en quoi consistaient les archives que nous conservons: brochures, tracts, etc. Nous avons également évoqué les différents mouvements qui déposent leurs archives dans notre centre. Les élèves ont pu approcher l'enjeu de la conservation de ces documents dans un centre d'archives privé et la différence avec les archives publiques. Ils ont été rendus sensibles à l'importance des archives pour garder la mémoire de fractions de la population qui, ordinairement, n'accèdent pas à une place dans le récit historique.

La séance s'est conclue sur l'audition d'une archive sonore sur l'expérience de la Petite école:

Une deuxième séance à l'école

Au cours d'une deuxième séance, nous avons précisé la chronologie de l'expérience de la Petite école (lire ici), puis nous avons distribué des pièces du fonds du CCSI aux élèves répartis en trois groupes. Les pièces choisies sont des lettres adressées par la Petite école à différentes instances administratives pour obtenir du matériel scolaire et des entrées gratuites à la piscine. Une troisième lettre est une réponse à un courrier de la Petite école de la part de l'Association des cuisines scolaires de La Jonction. Nous avons remarqué que ces courriers ne sont pas argumentatifs: ils adressent une demande et ne développent pas les raisons pour lesquelles cette demande devraient être exaucée. Nous avons alors demandé aux élèves de rédiger à leur tour un courrier de même nature, mais en développant un argumentaire: pourquoi l'économat devait-il fournir du matériel scolaire ou le Service des sport des entrées de piscine?

Nous publions ci-dessous les archives originales et des extraits des textes élaborés par les élèves.

«Ces enfants ne sont pas ici par choix, mais par obligation»

Un premier groupe composé de Lina, Suja, Hizret et Arno a travaillé sur la base d'une lettre demandant des fournitures scolaires à l'économat cantonal.

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Voici quelques extraits des productions des élèves:

Hizret: « Ces enfants ne sont pas ici par choix mais par obligation. Ils viennent de pays en guerre. Ce n'est pas facile de quitter son pays d'origine.»

Arno: «Ce matériel nous est indispensable pour proposer aux élèves une bonne rentrée scolaire. Grâce à ces fournitures, nous pourrons accueillir beaucoup plus d'enfants clandestins et les éduquer. Sans votre aide, nous n'arriverons pas à tenir notre promesse envers ces familles ».

Lina: « Malheureusement, cette injustice est encore présente. Sans statut, mais avec un poids en plus : pas le droit à l'éducation, à être dans une école mais aussi à être en Suisse. Votre aide va les aider à s'en sortir ; merci de votre contribution. Nous leur donnerons un apprentissage identique aux écoles publiques et une aide pour ne plus être différenciés, ce qui va apporter une meilleure intégration. »

Suja: « Voyez-vous, il est important que nos élèves aient accès gratuitement aux fournitures scolaires. Tous les parents ne peuvent pas se permettre d’acheter, par exemple, des feutres, des gommes, des compas et d’autres matériaux. Il y a des parents qui ont des difficultés financières à cause du manque d’argent. Il faudrait que les matériels soient fournis gratuitement, comme pour les écoles publiques, afin que les élèves ne soient pas différenciés des autres enfants qui habitent en Suisse. Nous pensons qu’il devrait être accessible à tous, même à ceux qui n’ont pas d’école. C’est pourquoi nous avons préparé une liste des matériaux essentiels que vous trouverez dans les pièces jointes.

«Il ne faut pas les laisser dans la peur et la crainte»

Un deuxième groupe, composé de Mirvate, Dana, Amanda, a travaillé sur la base d'une lettre au Service des sports demandant des entrées gratuites à la piscine. C'est ici la question de l'accès aux à-côtés de l'école qui est posée.

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Voici quelques extraits des productions des élèves:

Mirvate: « Comme l'année dernière, nous nous permettons de vous adresser une demande de gratuité pour l'entrée des enfants de la Petite École de l'AGRES à la piscine et à la patinoire des Vernets. C'est une demande qui concerne 24 enfants et pour une fois par semaine. Cela est très important et compte beaucoup pour nous. Nous essayons de donner à ces enfants, une enfance "normale", malgré toute la difficulté de leur vie. Il est également important pour eux de découvrir et d'apprendre d'autres choses que derrière un bureau caché. De plus, ce sont des jeunes qui ont donc besoin d'une activité physique régulière pour rester en forme et ne pas se limiter à apprendre et à rester cachés. Je pense qu'il faut les mélanger à d'autres personnes, au moins à la vie extérieure, pour qu'ils puissent s'adapter à notre mode de vie. Il ne faut pas les laisser dans la peur et la crainte. »

Dana: « Comme l’année dernière, nous nous permettons de vous adresser une demande de gratuité pour l’entrée des enfants de la Petite École de l’AGRES à la piscine et à la patinoire. En effet, il est important, selon nous, que les 24 élèves aient le droit à l’éducation sportive durant leur parcours scolaire. Cela leur permettrait d’acquérir plus d’aptitude pour leur futur. Cette demande concerne 24 enfants et donc inclurait si possible 24 entrées gratuites une fois par semaine. »

Amanda: « Messieurs, l'association Genevoise de la reconnaissance et de l'encadrement des enfants sans statut légal, vous adresse une demande, comme l'année dernière, pour l'entrée gratuite aux enfants de la petite école pour la piscine et la patinoire des Vernets.  24 enfants seraient concernés par cette demande, une fois par semaine. Nous nous permettons de vous adresser cette demande afin que les enfants puissent se défouler et pratiquer des activités sportives. En effet, ces enfants sans statut légal ont besoin de bouger et se dépenser et donc il n'est pas préférable de les obliger à rester à l'école derrière leur bureau. »

«[cela] les aiderait à s'intégrer avec les autres enfants»

Dans le troisième groupe, composé de Christian, Diego, Shirine et Aweb, les élèves ont eu un courrier de réponse de l'Association du restaurant scolaire de La Jonction. Nous leur avons demandé d'imaginer la lettre de demande de la Petite école.

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Voici quelques extraits de la production des élèves:

Christian: « Comme vous le savez, nous sommes une association qui prend en charge de nombreux enfants malheureusement clandestins. Afin d'avoir une proposition complète, nous vous prions et demandons d'accueillir 16 enfants de l'AGRES pour les repas de midi dans votre restaurant. Nous espérons que les enfants pourront ainsi rencontrer et s'intégrer aux autres petits ; cela serait une bonne initiative de votre part.»

Diego: « Ces enfants ne peuvent être gardés pendant la pause de midi, et donc votre aide serait à prendre avec plaisir. Nous savons les problèmes que cette lettre peut engendrer, mais demandons votre accord et surtout de convaincre le DIP.»

Shirine: « Nous avons à charge 16 enfants qui auraient besoin d'avoir un endroit où manger chaque midi. Nous pensons que cela leur serait bénéfique et les aiderait à s'intégrer avec les autres enfants. Nous espérons que cela ne posera de problème à aucun de vos collaborateurs.»

Une dernière séance: le dénouement

Au cours de la dernière séance, nous avons évoqué avec les élèves le succès de la Petite école: en parallèle à la mobilisation concrète autour des élèves clandestin.es, le Centre de contact Suisses Immigrés n'a pas relâché la pression politique pour obtenir une prise en charge des enfants sans statut dans le cadre scolaire classique. Un effort militant qui s'est avéré payant puisqu'en 1991 les enfants sans statut légal ont été admis à l'école publique. Le récit du dénouement de cette histoire récente a permis d'aborder des questions telles que la hiérarchie des normes (l'enjeu était alors de faire appliquer la Convention des droits de l'enfant contre les prescriptions du droit suisse), mais également les formes et les succès possible de la mobilisation politique dans le cadre démocratique.

Tout au long de ces trois séances, les élèves ont pu s'approprier une séquence très récente de notre histoire locale, une séquence qui articule des enjeux dont certains leur sont familiers et d'autres moins. Ils ont pu mesurer que, dans un régime démocratique, les forces qui structurent la production des normes ne sont pas entièrement immuables et intangibles: la mobilisation politique et matérielle en faveur de fractions sans droits de la population peut être une pratique gagnante.

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